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Environnement : les engrais uréiques en ligne de mire

Urée et solution azotée sont sous les feux de la rampe pour leur implication dans la pollution atmosphérique.

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De plus en plus de régions du monde appliquent une surveillance accrue de l’utilisation des engrais. L’Europe n’y échappe pas, et après des décennies de focus sur le lessivage de l’azote via la directive nitrates, elle jette aussi son dévolu sur la qualité de l’air. En 2016, l’agriculture a contribué à 94 % des émissions françaises d’ammoniac (NH3), ce gaz précurseur des particules fines, nocives pour la santé. En France, un quart des émissions métropolitaines de NH3 sont liées à l’apport d’engrais azotés minéraux, d’après l’inventaire national réalisé par le Citepa (Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique).

Le Prepa, Plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques, adopté en 2017 par le gouvernement français, vise à réduire de 4 % ces émissions de NH3 en 2020, 9 % en 2025 et 13 % en 2030, par rapport au niveau de 2005.

Un guide passé inaperçu

En effet, comme le Prepa est une déclinaison d’une directive européenne, un guide des bonnes pratiques agricoles doit être publié dans chaque État membre. En France, il a été mis en ligne sur le site de l’Ademe au début de l’été (espace Médiathèque) dans l’indifférence la plus totale. Aucune communication n’en a été faite à ce stade. D’ailleurs, quel conseiller en a aujourd’hui connaissance ? « Je pense qu’il va être diffusé via les chambres d’agriculture ou les instituts techniques pour les applications de printemps, mais il va falloir en effet un temps d’appropriation par les conseillers », répond Grégory Véricel, chez Arvalis-Institut du végétal.

Ce guide de 72 pages est composé de fiches synthétiques qui décrivent une ou plusieurs pratiques permettant de réduire les émissions d’ammoniac. Si neuf fiches concernent l’élevage, cinq concernent les cultures parmi lesquelles : Introduire des légumineuses dans le système cultural (fiche n° 10) ; Optimiser les apports d’azote par l’ajustement des doses et des conditions favorables à leur valorisation (fiche n° 11) ; Utiliser les meilleures techniques d’apport des produits organiques (fiche n° 12) et des engrais azotés minéraux simples tels que l’enfouissement rapide après épandage, l’injection directe ou l’irrigation après un apport (fiche n° 14) ; Privilégier les engrais azotés minéraux les moins émissifs (fiche n° 13). Clairement, sur ce dernier point, il s’agit de « privilégier l’ammonitrate, les urées granulées à libération progressive et contrôlée (urées enrobées) ou les urées granulées avec inhibiteurs d’uréase ». L’Anses a d’ailleurs été saisie sur la question de l’innocuité des inhibiteurs d’uréase, et a indiqué au printemps qu’elle manquait d’éléments pour garantir l’absence de risque pour l’environnement et le consommateur. Donc elle n’est pas près de délivrer d’AMM pour ces additifs.

Des mesures « pas suffisantes »

« Les mesures préconisées par le Prepa comme l’enfouissement ou l’ajout d’un inhibiteur vont dans le bon sens, signale Renaud Bernardi, président de l’Unifa. En revanche, si ces mesures sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes pour atteindre les objectifs de réduction. » Lesquels ne pourraient être atteints, selon une étude réalisée par le Citepa, qu’avec une forte substitution de l’urée et de la solution azotée par de l’ammonitrate.

Jusque-là, les engrais uréiques, donc avec un potentiel émissif plus élevé, ont plutôt eu tendance à progresser, ce qui fait qu’entre 2015 et 2016, les émissions d’ammoniac ont augmenté de 6,7 %, a calculé le Citepa. « Il y a de fortes chances que le guide des bonnes pratiques devienne réglementaire s’il n’y a pas d’inversion de bilan », commente Grégory Véricel.

Des livraisons en recul de 4 %

En 2018-2019, selon les derniers chiffres de l’Unifa, la solution azotée a encore grimpé, probablement sous l’effet d’achats anticipés en prévision des taxes antidumping. Elle talonne réellement l’ammonitrate aujourd’hui (infographie ci-contre). La part de l’urée (y compris traitée) parmi les engrais azotés repart en revanche à la baisse. Mais pas sûr que ce soit une considération environnementale. « L’incertitude sur le prix international de l’urée à la hausse en début de campagne, puis à la baisse, a rendu les acheteurs prudents, explique-t-on plutôt à l’Unifa. Et il n’y a pas eu de progression supplémentaire de l’urée avec inhibiteur par rapport à 2017-2018. »

Après, peut-être que l’atteinte des objectifs viendra tout simplement de la baisse de consommation d’engrais azotés. Elle est déjà amorcée dans de nombreux pays occidentaux, et même en Chine. En France, les surfaces en bio commencent à prendre une importance visible. « On est sur un vrai recul de consommation depuis deux ou trois ans, toutes catégories confondues, abonde Jean-Luc Pradal, DG de Fertiberia France. Même l’azote s’est pris une claque l’année dernière. »

Les derniers chiffres de l’Unifa vont dans ce sens. Les livraisons françaises d’engrais et AMB ont été en baisse de 4 % à 11 Mt en 2018-2019. Tous les éléments nutritifs sont à la baisse, et l’azote lui-même affiche un recul de 4 %, marqué pour cet élément traditionnellement peu soumis aux aléas. Quant aux livraisons d’engrais composés (hors PK) et organominéraux, elles dégringolent carrément de 17 %. Un nouveau coup dur après la campagne 2016-2017 catastrophique.

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